Je leur raconterai mon enfance,
Je leur parlerai de mon conte préféré : Alice au pays des merveilles, initialement titré Alice sous la terre écrit par Lewis Carroll, s’inspirant d’Alice Liddell, alors âgée de 10 ans.
L’adulte qu’il était à ce moment-là, bien qu’il eût un talent évident pour inventer de jolis mots et créer des mondes merveilleux, était manifestement obsédé par les petites filles qu’il appelait ses « amies-enfants ». Il les amenait régulièrement en « promenade », les invitait chez lui à « prendre le thé » en prétextant qu’il avait à leur montrer « quelque chose d’assez curieux ».
Normalement, cela devrait déjà suffire.
Mais tout de même, j’ajouterai
Parfois, il les photographiait nues.
Et je laisserai le silence dire le reste.
Alors on dira
Non Alice, c’était un homme bon. Il était doux, tendre, pur.
Je murmurerai
Silence.
On dira
Mais Alice, pourquoi s’attaquer à la mémoire d’un homme qui n’avait à offrir que douceur, beauté, innocence ?
Je murmurerai
Silence.
On dira
Arrête Alice, il n’y a pas la moindre preuve.
Je murmurerai
Silence.
On continuera de dire.
On continuera de couvrir le silence avec tous les mots qui le contiennent.
Et je pleurerai en silence, au milieu des
Non,
Des
Mais,
Des
Arrête,
Au milieu des
Alice.
Et car je resterai muette, on finira par se taire.
Il finira bien par revenir, le silence.
C’est là que je crierai.
Je crierai si fort qu’on en restera
Sidéré·e.
Je crierai
SILENCE
On entendra déjà tout ici.
Le silence sera assourdissant.
On voudra dire
Non,
Dire
Mais,
Dire
Arrête,
On voudra dire
Alice.
On voudra couvrir le silence.
Mais le silence contiendra tous les mots.
J’ouvrirai mon exemplaire d’Alice sous la terre.
Avant de commencer à lire, je rappellerai que dans le récit, le narrateur est externe. Qu’Alice est seule dans sa traversée du pays des merveilles.
Je sortirai le conte du conte et je rappellerai qu’Alice avait 10 ans quand un adulte de 23 ans son aîné romantisait sa relation avec elle.
Bien qu’il écrivît au nom d’Alice, c’est sa perception à lui qui fut retranscrite.
Je le remettrai à sa place, et il sera considéré comme interne à la scène, comme un personnage omniscient, agissant sur l’environnement de la fillette, le modelant selon son bon vouloir sans qu’elle ne puisse comprendre comment, ni pourquoi, en raison de son jeune âge.
Il demeure l’auteur de ses mésaventures sous la terre.
Je lirai
Il y avait des portes tout autour de la salle, mais elles étaient toutes fermées à clef ; et lorsqu’Alice en eut fait le tour en les essayant toutes, elle revint tristement vers le milieu de la pièce en se demandant comment elle pourrait bien en sortir. Soudain, elle se trouva devant une petite table à trois pieds, toute de verre massif ; il n’y avait rien dessus, excepté une minuscule clef en or, et la première pensée d’Alice fut que cette clef devait ouvrir l’une des portes de la salle. Mais hélas ! les serrures étaient-elles trop grandes, ou la clef trop petite ? Quoi qu’il en soit, cette clef n’ouvrait aucune des portes. Au second tour pourtant, Alice découvrit un rideau qu’elle n’avait pas encore remarqué et, derrière, une petite porte haute de quarante centimètres environ : elle essaya la petite clef et constata que c’était la bonne ! Alice ouvrit la porte et sa vue plongea, par un étroit passage, pas plus large qu’un trou à rat, dans le plus adorable des jardins. Comme elle aurait voulu sortir de cette salle sombre, se promener parmi ces parterres de fleurs aux couleurs éclatantes et ces fraîches fontaines ! Mais elle ne pouvait même pas passer la tête par la porte : « Et, même si ma tête passait », se dit la pauvre Alice, « cela ne me serait guère utile sans mes épaules. Oh ! comme je voudrais pouvoir me replier comme un télescope ! Je crois bien que je pourrais y arriver, si seulement je savais par où commencer. » C’est que, voyez-vous, tant d’événements extravagants venaient de se produire, qu’Alice en arrivait à penser qu’il n’y avait pas grand-chose de véritablement impossible. Il n’y avait rien d’autre à faire, aussi revint-elle vers la table, espérant presque y trouver une autre clef, ou au moins un manuel indiquant la marche à suivre pour replier les gens en eux-mêmes comme des télescopes : cette fois, elle trouva sur la table un petit flacon – « qui, à coup sûr, n’y était pas tout à l’heure » se dit Alice – avec, noué autour de son goulot, une étiquette de papier portant les mots BOIS-MOI, magnifiquement imprimés en gros caractères. C’était bien joli de dire « Bois-moi », « mais je vais regarder d’abord », se dit la prudente petite Alice, « s’il est inscrit le mot "poison" ou pas, sur la bouteille ». Car elle avait lu plusieurs charmantes petites histoires où il était question d’enfants brûlés ou dévorés par des bêtes sauvages, ou victimes d’autres mésaventures, parce qu’ils n’avaient pas voulu se rappeler les conseils que leurs amis leur avaient donnés, comme par exemple, si vous allez dans le feu, cela brûle, ou si vous vous coupez le doigt très profondément avec un couteau, généralement cela saigne ; et elle n’avait donc pas oublié que si l’on boit le contenu d’une bouteille portant l’inscription "poison", il est à peu près certain que cela cause des désagréments tôt ou tard. Néanmoins, ce flacon-là ne portait pas l’inscription "poison", alors Alice se hasarda à en goûter le contenu, et, l’ayant trouvé délicieux (il avait en fait un goût de tarte aux cerises, mêlé à des saveurs de crème à la vanille, d’ananas, de dinde rôtie, de caramel et de toast beurré), elle eut tôt fait de l’avaler jusqu’à la dernière goutte.
* * * * * *
« Quelle sensation bizarre ! » fit Alice. « Je dois être en train de me replier comme un télescope. »
Je refermerai le livre,
Et je commencerai à dire.
Je commencerai à découvrir le silence avec tous les mots qu’il contient.
On pleurera en silence, aux côtés de mes
Non,
De mes
Mais,
De mes
Arrête,
Aux côtés des
Alice.
Et quand je finirai par me taire, on restera muet, on restera muette.
Il finira bien par revenir, le silence.
Et pour la première fois, je l’entendrai.