Guide de survie individuel pour débuter un parcours transfeminin dans un monde pas encore collectiviste
1. Tu as le droit d’exister.
Tu es passé.e, passes ou vas passer par des periodes intenses de d'auto-detestation. Ton parcours transféminin a de grandes chances d'être marqué par un regard très dur sur ton passé au placard. Rappelle-toi que ce que tu rejettes, tu l'as avant tout appris parce que personne n'a enseigné a l'enfant que tu étais à survivre dans un cadre où son individualité était respectée. Il est probable que tu regrettes des décisions que tu as prises au cours de ta vie. Il ne s'agit pas de relativiser tes pires choix et de les accepter comme vertueux, mais bien de réaliser qu'ils s'inscrivent dans un contexte social que tu n'as jamais eu le pouvoir de maîtriser seul.e.
2. Cherche des grandes sœurs.
Tu as peut-être peur. Tu ne te sens peut être pas légitime, pas assez féminine, perdue et pas assez sûre de toi. Tu es peut-être terrifiée à l'idée de prendre une place qui n'est pas la tienne. Tu te noies probablement dans l'océan des projections sur les réalités de la transition et ses infinies consequences. C'est normal.
Chacune d'entre nous est passée par la et c'est un passage bien plus facile à traverser si tu es entourée par des personnes qui connaissent ces enjeux. Rejette la domination des sœurs qui voudraient t'expliquer la bonne manière de transitionner, mais accueille la sororité de celles qui te partageront leur experience pour te guider sans te priver de ton agentivité. Si tu te sens diminuée parce qu'on te considère comme une petite sœur, qu'on tente de trop te daronner, n'hésite pas à le communiquer mais reconnais la valeur de ce type de soin. Tu feras surement des rencontres qui t'ameneront a nouer des relations tres belles et précieuses. Tu rendras la pareille aux petites sœurs quand tu auras pris de la bouteille.
3. Agis selon tes principes, mais n’oublie pas de prendre soin de ta sécurité.
Si tu transitionnes, tu as probablement des convictions profondes et des valeurs qui te sont très chères. Chéris les, cultive les et tente de les suivre au maximum de tes capacités. Mais n'oublie pas que tu n'es pas a égalité avec le reste du monde en terme de sécurité (surtout si tu es racisé.e, handi.e, tds, tox...). Il te sera necessaire d'accepter que tu n'es pas parfaite et que, lorsque tu seras en situation de survie, tu ne pourras pas toujours accorder chacune de tes actions à tes principes profonds. Reconnais pas que les humain.e.s vivent avec des contradictions et que tu ne fais pas exception.
4. Reconnais les violences que tu commets mais refuse de porter celles que tu subis.
Tu as survécu en navigant dans un monde où tes imaginaires etaient proscrits. Où chacune de tes actions étaient influencées par ce que l'on t'a appris à être sans te demander si cela te convenait. On te parlera de ton privilège masculin pour décrire tes années de placard, et il est possible que ce soit une réalité partielle : que tu te sois appuyée sur certains avantages que pouvaient te donner ta position sociale lorsque tu te reconnaissais et étais reconnue en tant qu'homme. Cependant, fais attention à ne pas endosser des responsabilités qui ne sont pas les tiennes. Tu as grandi dans le patriarcat et la culture du viol comme les autres, et il est donc statistiquement probable que tu aie déjà subi des violences sexistes et sexuelles. Meme si l'on t'a répété constamment que tu n'avais pas a te plaindre en raison de tes privilèges, tu étais au placard et c'est la transmisogynie qui t'y maintenait. Tu as le droit de t'en reconnaître victime. Aucune justification ne pourrait t'en rendre responsable. Tu es doublement faillible comme tous.tes les êtres humain.e.s : tu peux abuser du pouvoir que tu as sur les autres à un moment donné, et tu peux être abusé.e par celleux qui ont du pouvoir sur toi à un moment donné. Les mecanismes de la tranmisogynie effaceront parfois ce deuxième point en niant la possibilité que tu sois victime de violences. Ne te laisse pas entraîner dans ce déni : tu as le droit d'être cru.e et soutenu.e.
5. Découvre ton corps et apporte du soin a ta santé.
Le parcours transféminin est souvent lié à une reconnexion à un corps parfois laissé de côté pendant des années. Prends le temps de comprendre quel est TON rapport à TON corps. Qu'est-ce que tu aimes ? Qu'est-ce que tu n'aimes pas ? Qu'est-ce qui te rend dysphorique ? Qu'est-ce qui te rend euphorique ? Qu'est-ce que tu aimerais changer ? Qu'est-ce que ca implique ? Qu'est-ce qui te fait peur ? Qu'est-ce qui te fait douter ? Tu n'es pas obligé.e d'avoir toutes les réponses immédiatement. Une transition ne correspond pas à un procédé binaire mais bien à un chemin, à un mouvement, à une continuité. Tu as le droit de ne pas savoir, de prendre le temps, de changer d'avis, de faire du reperage, de ne pas suivre les parcours majoritaires, d'avoir des seins, gros petits ou plats, d'avoir une chatte, une bite ou des organes génitaux pas normés, de sucer, de lécher, de pénétrer, de circlure, d'être circlus.e, pénétré.e, sucé.e, léche.e, de refuser l'une, l'autre, ou toutes ces pratiques, d'avoir une barbe, d'etre recouvert.e de piercings, de tatouages, de maquillage, d'être gros.se, d'être une pute, d'être tox...
Ne perds pas de vue ta santé physique et ta santé mentale et prends en soin le plus possible. Appuie toi sur les réseaux d'entraide communautaire pour etre soutenu.e, fais toi suivre par des professionnel.le.s de santé si ta situation te le permet, auto medicamente toi si tu as besoin d'une aide chimique mais que tu n'y a pas accès, bois de l'eau mdr, demande les aides auxquelles tu as accès (qu'il s'agisse d'aides sociales de l'état ou de caisses de solidarité communautaires).
6. Sois responsable autour du sexe et de la drogue.
Beaucoup d'espaces queer revendiquent la liberté sexuelle, la fête et les drogues sont souvent présentes et ancrées dans les contre cultures anti autoritaires.
Il s'agit de pratiques qui peuvent être profondément liberatrices puisque nos vécus traumatiques sont liés à la prohibition de nos désirs. Tu as le droit d'y prendre part, ou non. L'emergence de discours sexpositifs et pour la liberté de la fête a permis d'ouvrir des espaces d'exploration vitaux, mais il est important de ne pas les banaliser pour autant.
La drogue et le sexe ne sont pas des choses banales. Consommer de la drogue ou coucher avec quelqu'un n'est pas équivalent à faire une partie d'un jeu de société.
Il s'agit de pratiques qui comportent des risques intrinsèques a leur nature vulnerabilisante et il est primordial de prendre ces risques en considération et de réfléchir collectivement à des rituels et outils de réduction des risques physiques (contraception, protection contre les mst, consommation dans des endroits sécurisés avec du matériel à usage unique, fragmentation des doses et conscience des interactions entre substances...) et psychiques (violences sexuelles, bad trips, mecanismes d'emprise, addictions...)
Tu n'es pas responsable des comportements des autres mais tu es responsable envers elleux lorsque tu partages ces activités, et il est important que tu prennes soin des personnes qui vivent une mauvaise experience comme tu aimeras que l'on prenne soin de toi si cela t'arrive.
7. Sois douce avec ton reflet.
Meme quand tu n'en as pas envie, cultive en toi un endroit de douceur qui ne s'eteint jamais. Meme quand tu te détestes, meme quand tu as honte, même quand tu veux te faire du mal, même quand tu te fais du mal, même quand tu essaies de mourir, même quand tu es obligé.e de passer par l'hôpital, meme quand tout le monde te rejette, même quand tu as fauté, même quand tu ne sais plus identifier la douceur dans tes sensations. La transfeminité dans un monde qui met tout en œuvre a la détruire est un acte de foi. Quelle que soit ta confession religieuse, tu as besoin de trouver en toi une source spirituelle de douceur, d'acceptation et de curiosité envers toi même. Cette constante est une des clés de la resilience qui sera essentielle à ta survie.
8. Crée un sanctuaire.
Un lieu rien qu'à toi. Ton chez toi si tu as un domicile fixe, et un endroit que tu peux convoquer lorsque tu es en sécurité si ce n'est pas le cas. Donne lui une forme materielle. À quoi ca ressemble, un espace que tu investis rien que pour toi ? Qu'est-ce que tu peux construire pour t'accorder du repos quand tu n'as pas la force de lutter ? Quelles personnes, quelles communautés, quelles institutions peuvent t'accueillir, te porter secours, te soutenir quand tu t'effondres et que tu as besoin de souffler ?
Il n'y a pas de règle. Selon la complexité de ta situation, tu devras etre creative. Et si rien de mieux ne t'est possible, il n'y a pas de honte à ce qu'il s'agisse de l'hopital. Tu mérites d'avoir un espace où tu te reposes et où l'on prend soin de toi.
9. Il est possible d'aimer et de haïr à la fois.
C'est une contradiction niée par les discours de soin individualistes et de developpement personnel et pourtant le succès d'une communauté réside principalement dans la faculté de ses membres à collaborer malgré les tensions et les différents. Tu as le droit de poser des limites et de mettre à distance les personnes qui t'ont fait ou te font du mal mais cela ne te dispense pas de reconnaître leur humanité. Tu peux être sorore et solidaire envers des personnes que tu détestes, si cela est juste. Tu n'as l'obligation d'aimer ou de frequenter personne dans ta vie individuelle, mais tu dois aussi comprendre que les espaces publics ne peuvent être ni contrôlés, ni totalement sécurisés. Une personne, d'autant plus dans les marges, a besoin de sociabilité et de communauté pour vivre et chercher à l'écarter totalement des espaces publics complètement en l'essentialisant à travers ses mecanismes dysfonctionnels uniquement ne permet ni de la responsabiliser, ni de protéger d'autres personnes et conduit à une atmosphère générale de performativité puisque les personnes risquent d'agir davantage par peur de la sanction que par reelle compréhension des enjeux structurels de pouvoir et responsabilité. C'est d'ailleurs un tres bon moyen de reproduire des mécaniques systemiques racistes, transmisogynes, validistes, etc... Si tu aimes ta communauté, tu dois aimer l'humanité et respecter les droits fondamentaux de chacun.e de ses membres.
10. Tu dois survivre.
Ton existence même est une antithèse au cynisme. Tu incarnes un imaginaire magnifique et essentiel qui mérite que l'on se batte pour lui rendre justice. Tu n'es pas seul.e. D'autres sont venu.e.s avant toi et d'autres viendront après. La crise du SIDA, entre autres, a laissé notre communauté orpheline et la transmission intergenerationnelle s'en est retrouvée precarisee. Il est de notre rôle de reconstruire ces ponts et de faire front face aux attaques fascistes qui sont lancées contre nos simples existences. Si nous pouvons rêver des mondes, alors nous pouvons les construire. Nous avons besoin de tes rêves, de tes ressources, de ton rire, de tes larmes, de ta colère, de ton amour, de ta douceur et de ta sororité. Ta vie est importante, et tu es irremplaçable. Tu dois survivre ma sœur. C'est la 1e étape, la plus importante, a ton échelle.