Il existe, dans de nombreuses luttes antipatriarcales, des sous-patriarcats.
Représentons le monde patriarcal comme une tour, dont nous serions les habitant.e.s – ou les prisonnier.e.s, ça dépend des points de vue.
Plus l’on monte dans les étages, plus l’on monte en privilège. C’est simple.
Pourtant, l’agencement des étages intermédiaires est sujet à débat. Il y a la une combinaison complexe de facteurs multiples.
Par exemple, qui de la femme cisgenre hétérosexuelle blanche et bourgeoise ou de l’homme cisgenre homosexuel blanc et bourgeois est le plus privilégié ?
Christine Boutin ou Florian Philippot ?
C’est difficile à dire.
On peut cependant affirmer sans trop prendre de risques que depuis le sommet, des hommes cisgenres hétérosexuels blancs et bourgeois admirent le paysage, et qu’au n-ième sous-sol, des femmes transgenres homosexuelles, racisées, grosses, handies et précaires suffoquent sous le poids de la tour.
En théorie, cette hiérarchisation des privilèges est basée sur la réalité matérielle des différentes oppressions systémiques : sexisme, racisme, homophobie, classisme, validisme, grossophobie, toxicophobie, islamophobie, antisémitisme, transphobie, etc...
En pratique, les sous-patriarcats apparaissent dans les milieux de luttes antipatriarcales qui se basent sur une vision simpliste du privilège pour construire des outils exclusifs systématiques et essentialistes. Cela naît souvent d’une volonté de création d’espaces parfaitement safe, de fantasmes de pureté militante et d’un dogmatisme nié.
Prenons l’exemple concret de la non-mixité sans hommes cisgenres.
Bien qu’il s’agisse d’un outil très important dans certains cadres, sa généralisation, motivée par la montée d’une misandrie revendiquée politiquement dans de nombreux milieux queer et féministes peut en faire un instrument d’oppression redoutable.
Pour reprendre l’image précédente, elle vise à décapiter la tour de ses étages supérieurs.
Adieu les hommes cisgenres hétérosexuels blancs bourgeois ! Nous voici libéré.e.s du poids que votre présence nous fait porter !
Il serait alors tout à fait naïf de penser que la tour se désagrège comme par magie et que les dynamiques de pouvoir patriarcales se dissipent dans le vent.
La construction reste bien en place. Elle constitue un système sous-patriarcal qui aura pour sous-patriarches des femmes cis, des hommes trans, des personnes blanches et bourgeoises.
Pire encore, certaines personnes vivant à des étages pourtant bien inférieurs seront simplement exclues sans détour, au nom de privilèges par lesquels elles seront essentialisées.
Un mec cis gay racisé et précaire est un oppresseur n’est-ce pas ?
Ben oui, c’est un homme enfin voyons c’est évident.
Ca dégage.
D’autres personnes seront techniquement incluses, mais dans des conditions déplorables.
Une meuf trans ou une personne non-binaire AMAB perçue comme trop masculine éveillera la méfiance et ne devra pas prendre trop de place. Son apparence et ses comportements seront policés.
Ainsi, des doubles standards sont appliqués.
Si une personne a un pénis, un tempérament colérique est le signe d’une mauvaise déconstruction de sa socialisation masculine primaire. Cette personne est problématique. Il y a fort à parier qu’elle devra rendre des comptes, et qu’elle risque l’exclusion.
Si une personne a une vulve, un tempérament colérique est le signe d’une réappropriation de comportements qui lui ont été interdits. Cette personne est un modèle d’empouvoirement. Il y a fort à parier qu’elle sera plus facilement excusée en cas de débordement, puisque les traumas liés à son vécu de victime sont à prendre en compte, n’est-ce pas ?
Ainsi, on s’aperçoit de deux choses :
1. Le privilège est une notion complexe, qui permet l’étude de dynamiques collectives et systémiques. L’appliquer, à l’échelle individuelle, en essentialisant des personnes à travers une analyse simpliste est une bonne manière de gagner du pouvoir, pas de défaire les dynamiques collectives oppressives.
2. Quand les outils exclusifs comme la non-mixité sont appliqués bêtement, systématiquement, et sans faire l’objet de questionnements profonds quant aux objectifs que leur utilisation doit permettre, ils deviennent purement et simplement des outils de discrimination et d’oppression.
De la sorte, les espaces queer-féministes, désignent souvent des sous-patriarcats où l’on trouve une hiérarchisation des oppressions (celle que l’on subit est toujours la plus grave), des normes sociales rigides qui refusent de se considérer comme telles et préfèrent prétendre à leur universalité, une dévalorisation de certaines féminités comme outil de libération des femmes (par le racisme, la transmisogynie, la putophobie, etc...), une gentrification des espaces communautaires, une marchandisation des discours politiques (en vendant pour 10 euros des stickers “radicaux” par exemple), des dérives sécuritaires fondées sur un sentiment de légitimité absolue et une exaltation victimaire, une exclusion active et violente de certains groupes sociaux, et bien d’autres plaisirs <3